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Le cube perméable

Sur les murs blancs de l’atelier ses œuvres sur papier s’alignent à la hauteur du regard comme une frise abstraite et reposante. Par ci par là des cubes pris dans des filets quadrillés rose, bleu ou gris flottent. Le papier calque brouille légèrement I’image et la figure du cube apparaît en trois dimensions comme un astéroïde dans l’espace. Opposé à la sphère qui donne le vertige, la figure du cube renvoi à la terre, à la stabilité. Au XXème siècle les artistes s’intéressant à cette forme géométrique l’ont haussée au titre d’œuvre d’art à part entière. Le « Dee» (1963) opaque de Tony Smith, le cube pénétrable de J.R. Soto (1967), la sculpture musicale tactile de Jean-Robert Sedano et Solveig de Ory (1999).

Du minimalisme au baroque, du baroque au dispositif ludique, Le cube semble transmuable. Conçu en treillis métallique par Edoardo Tresoldi, le cube pose les fondations de ses œuvres monumentales dédiées à la mémoire comme la reconstitution de la partie détruite de la basilique Santa Maria de Siponto dans le Sud de l’Italie en 2016.

Passer à travers

« Le cube est un monde. Sa solidité et sa stabilité me rassure » dit Choi Hyun Joo : Tout comme l’artiste italien, elle envisage le cube à partir de sa perméabilité. Le grillage métallique dont il est constitué lui confère une transparence fascinante : « Le regard passe à travers, la forme respire en se métamorphosant. » En les multipliant, elle en fait une galaxie. « Le cube dans le cube, est un monde dans le monde. »

Dans son installation, le jeu du treillis métallique argenté ouvre des perspectives
nouvelles. La lumière lui offre la motilité subtile d’un mobile. Il suffit de bouger la tête ou bien de lui tourner autour pour que l’œil découvre la poésie optique des possibles. Dans l’épaisseur de ce matériau troué superposant délicatement cubes et rectangles l’œil descelle d’autres géométries spatiales amovibles, comme dans un kaléidoscope. C’est ainsi que l’accumulation prend son ampleur sans pour autant perdre son langage minimaliste.

Par la légèreté des grilles dans l’accumulation de cubes, des cubes dans les cubes, la perception perd ses repères. L’artiste dépose par endroits des miroirs augmentant les perspectives. Soudainement notre visage est surpris dans cet enchevêtrement d’espaces comme si, par une amnésie d’une fraction de seconde, il s’agissait du visage d’un inconnu.


Apparition, disparition, mémoire

Dans son œuvre sur papier la thématique de la mémoire est dite clairement à travers la disparition du cube entre les icônes carrées, tel un essaim d’abeilles disparaissant en vol. Son installation aborde cette même thématique à travers une dimension architecturale. L’artiste suggère l’édifice de la mémoire par son côté fantomatique, transformable, perméable.

Telle une pluie fine tamisant le paysage, le souvenir de l’image ainsi occultée est semblable au passé filtré par le crible de la mémoire.

Tout est ici équilibre, délicatesse et quiétude. Les déformations, les ombres portées développent une étrange rêverie comme si le passé respirait encore dans le présent en laissant sa trace aléatoire à travers les pores du visible. Ce qui me touche c’est que dans cette œuvre, tout se passe en une fraction de seconde.

Ileana Cornea, Paris, décembre 2017.

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